Lors de la table ronde du 6 juillet 2023 organisée au Conseil national de l’ordre des architectes sur la thématique « La place de l’architecte dans la rénovation énergétique », l’association nationale des architectes des bâtiments de France a souhaité donner la parole à des professionnels engagés pour une rénovation plus respectueuse du bâti ancien. Cet article propose une synthèse du propos de Madame Nathalie Tchang sur les outils du diagnostic énergétique, notamment le DPE, mais aussi l’audit énergétique et l’audit global.
Nathalie Tchang est présidente de la SAS Tribu Energie, bureau d’étude en fluides, énergie et environnement créé en 2002, regroupant quarante collaborateurs autour des projets de rénovation énergétique, intégrant un pôle d’analyse des économies circulaires, et avec une forte sensibilité pour le bâti ancien. Elle est par ailleurs ingénieur conseil pour la DHUP1 et membre du CSCEE2 .
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Le DPE, un outil inadapté au patrimoine ?
L’analyse statistique des résidences principales selon leurs étiquettes DPE3 permet plusieurs constats, notamment, sont fortement défavorisés :
- Les logements de petite surface ;
- Les logements construits avant 1948.
En termes de petites surfaces, on pense notamment aux chambres de bonnes des immeubles haussmanniens, par exemple. Les grands logements bénéficient d’un effet de masse, quand les petits logements concentrent tous les usages sur une surface réduite, et présentent de surcroît généralement un développé de façade plus important.
La date de construction n’est pas anodine, puisque les premières règlementations énergétiques datent de 1974. Les bâtiments plus anciens sont considérés comme n’étant pas isolé par défaut.
Malgré ces explications, le bâti ancien semblerait fortement pénalisé, tout comme les petites surfaces. Cela suffit-il à décrédibilisé l’outil ? Les points d’ajustement sont innombrables, l’étiquette finale étant dépendante :
- De la méthode et de ses limites ;
- Des données d’entrées ;
- Des diagnostiqueurs ;
Un DPE simpliste : info ou intox ?
Selon certains commentateurs, le DPE ne prendrait pas en compte :
- l’inertie du bâti ancien ;
Pour les bâtiments anciens, l’impact de l’inertie est intégré par une réduction forfaitaire d’environ 10% de la période de chauffe, sur la base d’un calcul STD par typologie ; - les espaces tampons ;
Le traitement des espaces tampons non solarisés est identique à ce qui est fait dans la méthode Th-C-E ex. Les espaces tampons solarisés ont été prises en compte dans une nouvelle version de 3CL selon l’approche simplifiée de la RT884 ; - la spécificité des ponts thermiques pour les planchers mixtes ;
Les valeurs réelles des ponts thermiques peuvent à tout moment être saisies, mais il faut les entrer dans le modèle. Il y a des valeurs par défaut, mais un professionnel qui a les connaissances se réfèrera au fascicules Th-Bât5 , ou même utilisera un outil comme TRISCO6 pour faire ses calculs de pont thermique, c’est tout à fait possible ; - le confort d’été ;
Le confort d’été est traité en prenant en compte : l’isolation des toitures, la présence de protections solaires, l’inertie et l’aspect traversant des logements ; - la ventilation naturelle ;
L’étanchéité à l’air a été revue pour le bâtiment ancien en s’appuyant sur les résultats de l’étude Exist’air7 réalisée par le CREBA. Les Q4Pa-surf8 changent selon les années de construction ; - les isolants biosourcés, les enduits isolants, les toitures de chaume ; les matériaux spécifiques (béton de mâchefer, terre…) ;
Les U9 des parois peuvent être saisis directement pour tous types de matériaux, et des valeurs par défaut sont intégrées pour le mâchefer ; en revanche le bilan carbone de la construction, qui serait favorisé par des matériaux locaux ou biosourcés, ou même pour les constructions anciennes, n’est effectivement pas pris en compte, l’empreinte carbone du DPE étant celle des consommations ; - les propriétés hygrométriques, qui sont mieux intégrées par WUFI10
;
Il n’y a rien de concluant dans ces études Batan et Hygroba11 sur l’impact de l’humidité dans la consommation énergétique des bâtiments anciens, notamment du fait d’un corpus d’étude trop restreint et non représentatif. L’instrumentation déterminerait plutôt une tendance à la migration de l’humidité vers l’intérieur l’hiver pour qu’on la sèche par le chauffage. Il est donc difficile de déterminer un impact sur la consommation.
En revanche, la question prise sous l’aspect des effets de paroi froide pourrait effectivement faire l’objet de travaux pour une intégration à plus long terme. Dans le bâti ancien, la question des points de rosée et moisissures n’est souvent pas uniquement liée aux ponts thermiques, mais plutôt à une hygrométrie intérieure mal maîtrisée. La prescription classique d’une ITE pour traiter les ponts thermiques et les points de rosée associés peut quant à elle générer des points de rosée intérieurs au complexe mural créé, générant des pathologies parfois dévastatrices. Le logiciel WUFI permet de faire ces calculs d’hygroscopie : à partir de la modélisation d’une paroi, on simule une isolation polystyrène intérieure, ou extérieure, et si l’usager bouche des entrées d’air, on observe le décalage du point de rosée et on identifie le risque de condensation au sein de la paroi. Mais WUFI ne calcule pas les consommations énergétiques.
Qualification et opposabilité
On peut donc toujours améliorer les choses, mais beaucoup de choses ont été faites dans ce nouveau DPE.
Le problème vient de la méconnaissance des possibilités du modèle. Il faut chercher la donnée, trouver les bons critères. Les enduits, les lambris, les doubles fenêtres, toutes ces spécificités sont mobilisables, mais il faut être un peu thermicien. L’annexe 2 de l’arrêté relative au recueil des données d’entrée12 , prévoit même que l’on puisse estimer le U du mur avec de simples thermomètres. On mesure la température intérieure, la température extérieure, et c’est une toute petite formule qui permet de saisir le U équivalent.
Donc c’est possible, c’est la base du métier auquel tout thermicien est bercé, mais tout le monde n’a pas ces connaissances. Une qualification minimale est requise pour le DPE, une autre pour l’audit énergétique13 des logements individuels (pour lequel les architectes sont qualifiés, notamment) et une autre encore pour les bâtiments tertiaires et collectifs, reconnue pour les BET par la qualification OPQIBI 190514 .
Sauf s’il réalise une formation spécifique, l’audit énergétique n’est donc pas le métier du diagnostiqueur. Si on ouvre les pages jaunes, qu’on recherche la prestation la moins chère, incluant une visite de quinze minutes ou même un recueil d’informations par téléphone, il ne faut pas s’attendre à une prise en compte fine des données d’entrée.
Par ailleurs, le passage en 2021 d’un statut informatif à un statut contractuel du DPE rend opposable son contenu15 , à l’exception des recommandations de travaux qui gardent une valeur informative16 . Le diagnostiqueur aura donc tendance à privilégier des valeurs par défaut moins favorables, pour éviter un recours sur des consommations finalement trop élevées.
Ainsi, si le DPE de diagnostiqueur fonctionne pour une construction pavillonnaire standardisée, la technicité liée à sa manipulation pourrait expliquer en partie la limite trouvée à l’outil pour le bâti patrimonial.
Confronter calcul théorique et relevé empirique
S’il était auparavant possible d’établir un DPE sur la base des factures de consommation énergétique, depuis le 1er juillet 2021, seule la méthode 3CL doit être utilisée. Le DPE vise à établir une consommation standardisée qui ne prend pas en compte les particularités d’usage. Le sujet de l’usage est donc complètement évacué, alors qu’il est un déterminant essentiel du confort dans le bâti ancien17 : si abaisser une température de consigne, mettre un pull, passer sa soirée au coin du feu, fermer les rideaux le soir ou se coucher avec une bouillote réduira effectivement vos factures, cela ne changera rien à votre DPE qui ne prévoit qu’une manière d’habiter. Eté, hiver, jour, nuit, la standardisation s’applique à nos comportements.
Il reste intéressant de confronter le calcul théorique aux données empiriques. L’exercice a été mené par TRIBU pour deux typologies : un appartement haussmannien et une maison familiale en Bretagne. La différence constatée entre les consommations estimées par 3CL et les consommations sur facture sont de moins de 15%. La méthode ne fonctionnerait donc pas si mal ?
Ne pas confondre DPE et restauration énergétique
Une rénovation énergétique performante débute par un audit global, établi par un binôme architecte/BET compétent. La norme NF EN 1688318 -Principes directeurs pour l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments d’intérêt patrimonial- détermine la méthodologie à appliquer pour garantir la conservation du patrimoine culturel :
- une équipe pluridisciplinaire ;
- une évaluation multicritère du bâtiment, intégrant les caractéristiques architecturales et patrimoniales, l’usage, la structure, les dispositions constructives, et la performance énergétique ;
- une spécification précise d’objectifs réalistes ;
- et surtout, une évaluation des options de travaux en fonction de l’ensemble des critères.
C’est le principe de la grille multicritère d’aide à la décision. Il s’agit, pour chaque composante du bâtiment, d’identifier les risques et mesurer ce que chaque décision pourra induire en positif et en négatif. Cette approche est fondamentale pour garantir que l’on n’altèrera pas une qualité existante du bâtiment dans le cadre de sa rénovation.
Les ambitions gouvernementales légitimes pour une rénovation énergétique accélérée n’atteindront leur objectif qu’à la condition de respecter les qualités et les caractéristiques du bâti ancien. Le constat d’une pression forte sur le bâti patrimonial est largement partagé, et les erreurs irréversibles se généralisent. Cela justifie des ajustements forts et immédiat dans la conduite de ce projet national :
- à court terme, faire réaliser les DPE et les audits du bâti ancien par des BET compétents pour saisir leurs caractéristiques réelles et non leurs valeurs par défaut, et garantir l’application de la loi qui prévoit que les travaux ne peuvent pas dégrader les qualités patrimoniale d’un bâtiment ;
- à moyen terme, intégrer les caractéristiques patrimoniales, architecturales et constructives dans le classement A à G de leur performance, en application de la loi, pour ne pas rendre des immeubles impropres à l’habitation sur un critère de décence basé sur ce classement mal renseigné ;
- sur le long terme, poursuivre et renforcer les programmes de recherche sur l’instrumentation, les relevés empiriques par typologies, l’hygroscopie ou encore l’effusivité, pour affiner encore l’outil en intégrant les spécificités du bâti existant.
La stratégie bas carbone est également une opportunité pour valoriser les filières courtes, les matériaux biosourcés et le remploi, sujet sur lesquels le bâti ancien est très vertueux. Les BET spécialisés en économie circulaire peuvent concevoir des rénovations exemplaires, réutilisant des portes par exemple pour en faire des cloisons, des gravats en place… C’est en étant bricoleur et imaginatif que l’on parviendra à massifier la méthode tout en considérant la singularité de chaque opération. L’ambition est générale, et chaque cas est unique.
- La Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), l’une des deux directions de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) - https://immobilier-etat.gouv.fr/pages/direction-lhabitat-lurbanisme-paysages-dhup ↩
- Le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) - https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-superieur-construction-et-lefficacite-energetique-cscee ↩
- https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/le-parc-de-logements-par-classe-de-performance-energetique-au-1er-janvier-2022-0?rubrique=390&dossier=843982 ↩
- Arrêté du 5 avril 1988 relatif aux équipements et aux caractéristiques thermiques des bâtiments d’habitation https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000322499 ↩
- Voir les fascicules, notamment le fascicule 5/5 sur les ponts thermiques - règles d’application pour le bâti : Th-Bât - https://rt-re-batiment.developpement-durable.gouv.fr/documents-d-application-a534.html ↩
- TRISCO, logiciel de simulation thermique stationnaire d’éléments de construction orthogonaux 2D & 3D - https://www.physibel.be/fr/products/trisco ↩
- https://www.cerema.fr/fr/actualites/exist-air-2-poursuite-etude-permeabilite-air-bati ↩
- Q4Pa-surf : cet indicateur représente le débit de fuite par m² de surface déprédative hors plancher bas sous une dépression de 4 Pa (Pascals), et s’exprime en m3/(h.m²) ↩
- Le coefficient de transfert thermique U s’exprime en W/m²K. Plus sa valeur est faible et plus la construction sera isolée. ↩
- WUFI - Wärme Und Feuchte Instationär – Migration de chaleur et d’humidité – logiciel (allemand) de calcul d’hygroscopie, simulant notamment l’apparition des points de rosé dans les murs - https://wufi.de/en/ ↩
- https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/espace-documentaire/hygroba-etude-la-rehabilitation-hygrothermique-des-parois-anciennes ↩
- Arrêté du 31 mars 2021 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments ou parties de bâtiments à usage d’habitation en France métropolitaine - https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=doxMrRr0wbfJVvtWjfDP4qE7zNsiFZL-4wqNyqoY-CA= ↩
- Décret n° 2018-416 du 30 mai 2018 relatif aux conditions de qualification des auditeurs réalisant l’audit énergétique éligible au crédit d’impôt sur le revenu pour la transition énergétique prévues au dernier alinéa du 2 de l’article 200 quater du code général des impôts - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036964133 ↩
- https://www.opqibi.com/nomenclature-fiche/1905 ↩
- Article L126-26 - Code de la construction et de l’habitation - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043976949 ↩
- Article L126-29 du CCH - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043977041 ↩
- Voir l’article de Vivien Chazelle – ABF - https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/14/architectes-des-batiments-de-france-nous-rappelons-que-le-confort-entraine-des-repercussions-irreversibles-dans-nos-villes_6145846_3232.html ↩
- https://www.boutique.afnor.org/fr-fr/norme/nf-en-16883/conservation-du-patrimoine-culturel-principes-directeurs-pour-lamelioration/fa173245/63253#AreasStoreProductsSummaryView ↩